Dans action artistique, il y le mot artistique. Et ce n’est pas un détail. C’est pour nous une autre manière de créer, de travailler avec des publics, et surtout avec ceux qui franchissent difficilement la porte d’un théâtre.
Qu’est-ce qui t’empêche ?
Si la France est un pays riche, les crises successives - y compris les crises sanitaires - ont creusé les écarts entre les plus défavorisés et les plus favorisés, entre les gens qui se sentent légitimes et les gens qui se sentent rejetés, ou mis à la marge.
C’est de ce constat qu’est né ce projet d’action artistique, que j’ai expérimenté en octobre 2021 au sein des actions de transmission des Plateaux Sauvages à Paris, en lien avec la mission locale. Cela concernait une dizaine de jeunes en insertion, et se déroulait sur 5 jours.
Le protocole est le suivant (et pourra évoluer au fil des actions) :
Deux récits
Il s’agit de demander à chacun deux récits, un récit d’empêchement, et un récit de dépassement. C’est-à-dire un récit qui relate un moment où l’on s’est senti empêché, ou auto-empêché, pas à sa place, illégitime. Et un autre où l’on a dépassé un empêchement, ou l’on s’est senti fier d’oser. Il est à chaque fois précisé que ces récits peuvent être personnels, mais aussi empruntés à d’autres dans l’entourage familiale ou autre.
Des interviews croisées
Pour ne pas mettre trop en fragilité les participants, qui n’ont pas l’habitude de parler en public, et livrer des choses intimes, des duos se forment et l’un interview l’autre, et réciproquement. C’est une situation plus facile. Ensuite, ils ne vont pas transmettre leurs propres récits, mais ceux de l’autre. Ce qui crée une distance théâtrale, un jeu, une légèreté, et déjà un travail de mise à distance, et de mise en forme du récit.
L’oralité au centre
C’est la troisième étape. Chacun choisit de garder son récit, ou de prendre le récit d’un autre qui les a touchés. Et on entame un travail très fin, et spécifique à chacune, à chacun : comment tout en gardant l’organicité et l’élan de l’oral, trouver une dramaturgie, une structure, une manière de porter le récit de manière personnelle, mais en se posant des questions d’écriture à l’intérieur de l’oralité, en remettant en question l’ordre des évènements, des tics de langage qui affaibliraient la narration, etc…
Il ne s’agit évidemment pas de corriger, de supprimer toutes les tournures non académiques, d’imposer une langue normée, mais de les amener à préciser l’imaginaire, et à mettre en scène leur pensée.
Un chœur de récits
La dernière étape est de trouver une forme collective, avec des ponts entre les récits, des liens secrets, des écoutes, et de cerner les talents de chacun pour jalonner les récits de moments physiques ou musicaux, des dialogues semi-improvisées, etc… C’est le contraire d’un travail solitaire et égocentré, mais un moment d’écoute, de chemin personnel à l’intérieur d’un collectif.
Déploiement futur
La première version « pilote » aux Plateaux Sauvages a trouvée sa conclusion dans une présentation d’une heure de restitution le 5ème jour. Outre qu’on a assisté à un spectacle émouvant, vivant, étonnant, j’ai pu constater en dialoguant avec eux que le travail a participé à leur donner confiance, à les questionner sur leur parcours, à représenter soi-même un dépassement, puisque pour chacune et chacun, prendre et assumer une parole en face des autres (partenaires et public) était déjà une gageure personnelle.
C’est pour nous un encouragement à déployer cette action artistique, en lieu avec des structures, des associations, à trouver des ponts entre ces différentes actions, à recueillir précieusement ces récits pour un jour peut-être en faire une action plus ambitieuse, ou nourrir une création future du Chat Borgne, ou faire une commande d’écriture.