Le projet
André Markowicz traduit en ce moment Richard III. Il dit que rien ne boite dans ce texte, à part Richard : tout est en vers réguliers et équilibrés.
Mesure pour Mesure, c'est l'inverse : du vers blanc, du vers rimé, de la prose. On hésite entre une comédie, une tragédie, une farce. Tel Comme il vous plaira, ce texte est un monstre inclassable, et c'est bien cela qui me plait. Il y a une liberté de ton, une impertinence dans l'écriture, une jubilation de la forme qui est une gageure pour les comédiens et pour le metteur en scène, une gageure excitante. Il y a un plaisir de la plume, du jeu des formes et des niveaux de langue que traduit bien Markowicz, car il a une oreille de musicien et traduit les dissonances internes à l'écriture.
Un texte aux mille lignes de fuite
Le second Shakespeare, après Comme il vous plaira. Toujours avec le traducteur André Markowicz. André m'a envoyé sa traduction en me disant qu'il avait traduit jusqu'au bout, mais qu'il n'avait pas compris la pièce...
J'ai attribué cela à l'esprit joueur et parfois un peu provocateur d'André. Ce n'est qu'en étant dans le dur de la mise en scène que j'ai compris ce qu'il a voulu dire. Il y a tellement de thèmes, de nerfs, de récits périphériques, qu'on a du mal à comprendre, au sens de "prendre en soi". Cela échappe, cela nous glisse entre les doigts, ou les neurones. Dans ces cas-là, il y a deux voies possibles : couper ce qu'on ne comprend pas, au risque d'enlever son foisonnement et sa complexité à la pièce, ou accepter de ne pas tout comprendre, et faire confiance au public pour comprendre parfois ce qu'on n'a nous-mêmes pas compris.
J'ai choisi la seconde, car je pense qu'un texte, un bon texte, un texte de poète, est toujours un scandale, comme dit Meschonnic, qu'il se laisse prendre par un bout, nous échappe par l'autre. Par notre lecture, notre regard, il devient une structure vivante, un organisme avec son souffles, ses nerfs, sa structure porteuse, ses zones secrètes, ses non-dits.