Le projet
J'ai voulu travailler sur les bars. J'ai observé le bar de mon village (j'habitais à l'époque dans une petit village en Bourgogne).
J'ai observé d'autres bars, en province surtout, ces bars qui sont comme des lieux à part, avec leur mythologie, leurs habitués, leurs absents, leurs morts. Nous avons beaucoup improvisé. Répétant dans une ancienne usine, sans beaucoup budget, j'ai demandé à mon voisin couvreur de me prêter des échafaudages. Ce fut le décor.
Comme les actrices étaient plus habiles à y monter que les garçons, ces échafaudages ont été leur habitation, une sorte de gynécée. Au fil des répétitions, est né un monde étrange, où le bar était un sas, un seuil de décompression, entre le travail et la famille. La structure du spectacle s'est trouvé très tard. Il y avait là déjà un meurtre d'oiseau qu'on retrouvera dans Erwan et les Oiseaux puis Silures. Difficile de décrire un poème de plateau.
Le second spectacle de la compagnie, dans la continuité de travail de Savent-ils souffrir ?, c'est-à-dire une partition qui se précise pas à pas à partir d'improvisations. La pression était grande, création au TNS puis une série aux Amandiers de Nanterre.
Une usine en friche
Nous avons répété dans une usine quasi abandonnée que la propriétaire a bien voulu nous louer, d'abord avec beaucoup de réticences, et l'on compris pourquoi ensuite. Il a fallu d'abord tout nettoyer, créer quelques chambres, une cuisine.
Nous y étions bien. Un jour la propriétaire nous demande si un dimanche elle peut utiliser son usine pour faire un fête avec le village. Nous y étions invités. Et nous apprenons que l'usine a fermé pour faillite, et que le patron (le mari de la dame qui nous avait invités) s'était pendu au gros crochet qui trônait juste au-dessus de notre décor.
On apprit aussi que le fait qu'une équipe travaille là, joyeusement, avait nettoyé l'usine et lui redonnait vie les avait encouragé à y retourner et à oser y revenir. Nous avions contribué à les aider à faire le deuil. La vie reprenait.
Un nid à hauteur d'homme
Il y avait un nid dans cette usine, à hauteur d'homme. Avec des oisillons qui piaillaient pour appeler leur mère.
Ces gazouillis nous ont accompagnés durant toute la création et on finissait par les oublier. Sauf qu'une fois arrivés à pantin pour une seconde session de répétitions, je dis au créateur son qu'il manque quelque chose. Il me répond que c'est exactement la même chose qu'en Bourgogne, qu'il n'a rien changé.
Nous avons cherché longtemps pour nous rendre compte qu'il s'agissait des oiseaux du nid. Heureusement, il avait pensé à les enregistrer.