Le projet
L'idée de Erwan et les Oiseaux m'est venue en observant certains enfants que j'ai eu l'occasion de côtoyer lors d'interventions en milieu scolaire, certains enfants le plus souvent au fond de la classe, à la traîne, lents, laborieux, incapables de se concentrer longtemps. J'ai souvent pu constater combien ces « retardés » prenait du champ, de l'indépendance au sein de l'activité théâtrale, combien il faisaient preuve soudain de vélocité, d'imagination.
Ce hiatus entre leur niveau scolaire et la vivacité qu'ils montraient au théâtre m'interrogeait à chaque fois. Je pense que l'intelligence elle-même n'est pas en question ici mais bien une inaptitude à s'adapter à la forme d'intelligence demandée pour suivre correctement le cursus : soit une incapacité à penser l'abstrait, soit une mémoire uniquement visuelle et absolument pas auditive, soit encore une dyslexie…
J'ai souvent tenté de comprendre et c'est en suivant leur logique intime, leur manière de louvoyer avec la difficulté, les méandres de leur imagination, que j'ai le plus appris sur mon métier. Dès que je me mets en position de m'adresser aux enfants, je ne cesse de penser à ces « cancres » si inventifs. J'ai d'emblée envie de me mettre à la place du « cancre » pour créer, de faire un spectacle « à la place du cancre », non pour le porter aux nues, mais pour faire entendre qu'il y a différends types de sensibilités et d'intelligences dont certaines, si elles sont inefficaces dans le cadre d'une société donnée, n'en sont pas moins riches et profondes.
Je ne suis pas parti d'un texte préétabli. Celui-ci s'est élaboré partie en préparant le travail partie pendant les répétitions. Cependant j'avais indiqué au début du travail que je prenais comme source de départ le roman Les Oiseaux de l'écrivain norvégien Tarjei Vesaas, sans savoir à quel point j'allais m'en inspirer. Je peux affirmer maintenant que le texte du spectacle n'est en rien une adaptation de l'œuvre de Vesaas. Le style, le mode de narration et l'histoire elle-même diffèrent. Le roman de Vesaas a simplement servi de terreau de départ, pour que les comédiens travaillent sur un certain type d'atmosphère et d'imaginaire.
Un exercice vivifiant
Ma première expérience de mise en scène, la toute première, fut de créer des spectacles avec des enfants de 3 à 12 ans et c'est là, me semble-t-il, que j'ai appris mon métier. Je travaillais sur des livrets d'opéra qui nous servaient de canevas de départ. Au fil des improvisations, l'histoire en devenait peu à peu méconnaissable tant la fantaisie et l'imagination des enfants se jouaient des frontières habituellement dictées par la logique. Cette « entrée en mise en scène » a été fondatrice pour moi et influe encore sur le travail actuel de la compagnie
Et le Chat Borgne, depuis l'aventure d'Erwan et les oiseaux, a toujours tenté de créer un Jeune Public tous les quatre ans à peu près. Les enfants ne sont francs et immédiats en tant que spectateurs, beaucoup plus qu'un public adulte. On n'a pas le choix, quand on s'adresse eux, il faut immédiatement être eau bon endroit, un endroit de théâtre précis, physique, organique. C'est un exercice vivifiant, comme une manière de se remettre de manière évidente à un endroit de théâtre essentiel.
Super ta chauffière
Les enfants sont moins rigides que nous le devenons, moins prisonniers de la rationalité, plus inventifs. Un jour, un programmateur me demande ce que c'est que la machine qui est sur le plateau. On a fabriqué pour ce spectacle une sorte de machine-alambic, avec un vieux cumulus de salle de bain. On y met des morceaux de betteraves crues, il en sort un liquide. Elle fait de la fumée, des sons de friture, d'autres sons qui lui donnent un statut quasi-animal. C'est une machine qui fascine le personnage d'Erwan. Je ne savais que lui répondre, et un enfant passe à côté de moi, il sortait du spectacle, et me dit : super ta chauffière ! Il s'était posé moins de question, et avait même inventé un mot.