Les trois sœurs

Le projet

Orphelines, un peu perdues, dépassées par l'Histoire, les trois sœurs sont trois fleurs fragiles, hésitantes, prêtes à s'épanouir ou à s'étioler, rêvant sans cesse de retrouver le lieu de leur enfance perdue, Moscou. Elles appartiennent à un monde en train de disparaître, et c'est aussi cela leur pouvoir d'attraction. Tchekhov, dès le début du premier acte, tente une expérience chimique dangereuse : il introduit Verchinine, lieutenant-colonel, ancienne connaissance moscovite du père disparu, figure de leur enfance. Un nouvel agencement du désir se met alors en place : il a connu le père des trois sœurs, il vient de Moscou, il est père lui-même, marié, et surtout il a besoin de consolation. Macha, la seule des sœurs déjà mariée, n'y résistera pas.

Tchekhov introduit également Natalia Ivanovna, jeune fille maladroite, mal jugée par les sœurs. Elle deviendra une sorte de valeur refuge pour le frère qui veut fuir le giron des sœurs et qui l'épousera. Tchekhov obtient alors une réaction chimique, une sorte de lente et sûre dégradation des possibles à venir. Le temps d'un second acte, de l'attente déçue des masques, qui ne viendront pas, sur ordre de Natalia, la nouvelle épouse du frère. Natalia prendra peu à peu le pouvoir durant toute la pièce, avec un esprit concret et pragmatique, petit bourgeois, faisant de l'ancien nid doucereux, où chacun pouvait venir rêver librement, un lieu organisé, sans recoins inutiles, sans repos. Le temps d'un troisième acte, d'un incendie qui détruit une partie de la ville. Mais le ravage est aussi intérieur. La chambre d'Olga et d'Irina devient le théâtre des incompréhensions, des crises, des pertes des illusions. Tout le monde est à fleur de peau, au bord du point de rupture, incendié de l'intérieur. Le tocsin des pompiers sonne aussi le glas de la confiance quasi enfantine qui unissait les trois sœurs et le frère, des utopies moscovites, des rêves de fuite. Le temps d'un quatrième acte presque initiatique, où elles déchirent le voile d'enfance qui déguisait la réalité, où elles font le deuil d'un monde pour accéder à un autre, inconnu, plus indifférencié. Ainsi, l'expression peu importe et ses variantes (quelle importance, c'est sans importance, rien n'a d'importance) s'impose pour devenir presque le mot de la fin.

Ici point de héros mort tragiquement, comme dans Platonov, Ivanov ou La mouette. Touzenbach sera tué en duel, mais cela participe à la sensation d'un monde qui s'écroule sans être le nœud du drame. Le drame dans cette pièce est plus sourd, plus intérieur, plus insidieux. Il y a évidemment une lecture de la pièce ancrée dans l'histoire de la Russie : une aristocratie ruinée, s'accrochant à des valeurs périmées, philosophant avec candeur et optimisme dans une Russie au bord du gouffre, pris dans une Histoire qui s'accélère. Mais Tchekhov nous offre aussi d'autres lectures à mettre en jeu, plus atemporelles. C'est un printemps déchirant qui travaille ces trois sœurs, elles se battent avec toute l'énergie de leur jeunesse pour se trouver un destin à la hauteur de leurs espoirs, pour ne pas perdre toute utopie. C'est une description précise et profonde du passage de l'insouciance héritée de l'enfance à la prise de conscience d'une vie qui passe déjà trop vite, où les possibles se resserrent inéluctablement, où la question du sens se pose avec acuité, et ne trouve pas de réponse. Si l'on pouvait savoir… C'est la dernière phrase de la pièce.

C’est une pièce à part, profonde, mystérieuse, aussi noire que pleine de sève, la première que Tchekhov ait écrite pour la troupe du théâtre d’Art de Moscou. Elle m’a toujours intrigué, fasciné, son caractère sourd, la sensation de délitement insidieux qui gagne les âmes, l’arrachement lent aux certitudes de l’enfance, la bataille solitaire de chacune des jeunes filles pour ne pas céder au découragement, pour affronter la spécificité de leur destin, tout cela a toujours produit en moi une sensation profonde.

Une création charnière

Le metteur en scène Patrick Pineau, qui avait monté Les trois sœurs à Bobigny quelques années plus tôt m'avait prévenu : le premier acte, c'est très dur, je n'ai pas réussi. J'étais donc averti. J'avais sa voix en tête dès la première lecture. Un des traducteurs, André Markowicz (il a traduit la pièce avec Françoise Morvan), était là les deux premiers jours, pour nous aider à comprendre la pièce, le contexte historique, la dramaturgie de la pièce, les motifs qui la traversent. Passé ces deux jours de table, j'ai senti qu'il ne fallait pas passer au plateau, mais passer par une étape de "dramaturgie active", celle qui sert à l'acteur à comprendre d'où ça parle pour lui, organiquement. Nous avons passé deux jours par acte à déchiffrer finement les structures, deux jours conclus par une improvisation de l'acte au plateau. Et ce fut formidable. Les questions était souvent simples : de qui me me méfie ? qui m'attire ? qui est un concurrent potentiel ?
Le premier acte est une sorte de fête qui commence trop tôt et traîne en longueur. Apparemment il ne se passe rien, ou pas grand chose. Mais si l'on observe une de nos fêtes, il se passe pas grand chose et mille choses. L'un vient parce qu'il est ouvertement amoureux, l'autre l'est secrètement, le ou la troisième a envie de partir, mais ce serait encore pire de se retrouver seul·e. Des regards s'échangent, ou l'on se concentre justement pour ne pas regarder l'objet du désir. C'est une fresque complexe et extrêmement précise. C'est cela que nous avons commencé à creuser par notre travail de déchiffrage à la table, passer du général au particulier, au spécifique. J'utilise beaucoup l'improvisation quand nous créons une écriture de plateau, c'est la première fois que je l'utilisais à partir d'un texte. Évidemment, le texte produit lors de nos expériences étaient souvent pauvres si on le compare à celui de Tchekhov.
Mais les comédiens, les comédiennes, débarassé·e·s du devoir de dire le texte sans se tromper, d'une mémoire trop fraîche, étaient tout à la question du corps dans l'espace, des distances entre les corps, et des pensées secrètes qui les traversent. Ce processus d'investigation par des improvisations extrêmement nourries par les hypothèses soulevées par le travail de décryptage à la table, a été très fertile. J'aurais d'ailleurs dû l'utiliser plus longtemps, pendant tout le processus. Et c'est ce que je fais maintenant quand j'aborde la plupart des textes. Cette création s'est trouvée être charnière dans le travail de la compagnie.

Illustration de la création Les trois sœurs

<span class="fontBold">Archives</span> - 2014/2015

Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

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Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

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Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

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Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

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Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

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Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

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Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

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Un printemps déchirant

Les trois sœurs

Anton Tchekhov

Les trois sœurs, Olga, Irina, Macha. Les trois grâces, les trois fileuses du temps, les trois sorcières, les trois déesses… Tchekhov ne choisit pas innocemment, jusqu'à l'avouer dans son titre, d'écrire pour un trio féminin. Même s'il adjoint au trio une quatrième figure, le frère, Andreï, qui biaise quelque peu le symbole, il reste que trois sœurs, cela impressionne toujours.
Et au-delà de la charge mythique, il y a la charge sensuelle, érotique. Les trois sœurs attirent les militaires en garnison, les célibataires, les hommes mariés en mal de consolation. Elles sont un foyer, un centre dans cette petite
  • Mise en scène Jean-Yves Ruf
  • Assistanat à la mise en scène Anaïs de Courson
  • Scénographie Laure Pichat
  • Lumière Christian Dubet
  • Son Jean-Damien Ratel
  • Costumes Claudia Jenatsch
  • Vidéo Thierry Aveline
  • Directeur technique Marc Labourguigne
Coproduit par :
Le Maillon, Strasbourg
Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis
Espace des Arts - Chalon-sur-Saône
L'espal - Le Mans
Maison de la Culture - Bourges
Soutenu par :
ENSATT, Lyon
Jeune Théâtre National
Fonds d'insertion de l'ESTBA, Bordeaux
  • Elissa Alloula
  • Christophe Brault
  • Gaël Chaillat
  • Géraldine Dupla
  • Lola Felouzis
  • Pascal d'Amato
  • Alain Enjary
  • Francis Freyburger
  • Thomas Mardell
  • André Pomarat
  • Antonio Troilo
  • Lise Visinand
  • Sarah Pasquier
  • Pierre Yvon
  • Jean-Yves Ruf