Le projet
Le poème relate une épopée maritime vers le nord. Un des marins, par ennui, par désœuvrement, tue un albatros d'une flèche d'arbalète. La météo change alors, les voiles s'affaissent, la mer est étale, elle devient glauque et putride, des monstres affleurent. L'équipage aperçoit alors un navire au loin, qui lui est mystérieusement porté par un vent favorable. Le bateau s'approche, ils aperçoive une grande femme, grâcieuse, la Mort.
Ils la croisent et tous les compagnons du marin avalent leur souffle et meurent, mais continuent à manœuvre le bateau. Un serpent de mer montrera la voie, et le marin rejoindra la terre ferme. Ce poème (je le résume à la hache…) est en même temps un récit épique et un récit intérieur, une dépression météorologique et une dépression de la psyché. C'est sur ce double niveau que joue Coleridge.
Être en panne, manquer d'élan. Tuer un oiseau est ici un meurtre symbolique. On tue en soi son désir d'élévation. Nous sommes partis de cette sensation pour inventer un poème de plateau, dans une sorte de bar de bateau, dans les soutes, une patronne qui tient la meute d'hommes, l'alcool qui nous encalmine sur place, une mascotte eux ailes d'anges qui lui seront arrachées. Un texte du poète grec Nikos Kavaadias, quelques brides du poème de Coleridge, en anglais et en français, un chant, des cuves pleine d'eau et de remugles.
Dénouer la pelote
Un poème de plateau. J'aime ce terme, qui traduit bien la démarche lors de ces créations. On ne s'appuie pas sur un récit, mais sur un agencement de sons, de rythmes, de gestes, d'intensités lumineuses, qui crée une sensation. Cela ne veut pas dire qu'on peut faire n'importe quoi, et que cela raconte toujours quelque chose. Non, on tente d'écrire, de passer du montage de séquences à une écriture, quand on ne peut plus inverser les séquences, qu'il y a une ligne intime qu'on suite, une distribution d'intensités qui crée une sensation claire. Et parfois cette cohérence se trouve bien tard. Il faut de la patience, dénouer la pelote avec patience.